François Patoue
ART TABAC
10.APR.2025




Droguées à la morphine sur ordonnance, les Morphinées du xixe siècle étaient réduites à des symptômes dits pathologiques, d’oisivetés et autres plaisirs n’incluant pas la fréquentation d’hommes, et furent largement critiquées à travers la presse, 
la littérature et les arts de l’époque. Cette condamnation morale rétrécit non seulement la dépendance à la substance consommée et, dans ce cas précis, essentialise les femmes dans le même temps. C’est nier que les substances n’existent qu’en tant que pratiques, bien plus larges : une pratique qui prend en compte les individus, le contexte, l’environnement social et total des expériences multiples associées. Penser les drogues comme des pratiques, c’est aborder les usagèr·es comme personnes actives, construisant une relation avec la substance. L’agentivité, dont les  individus font preuve lorsqu’iels entretiennent une telle relation, témoignent d’une affirmation émancipatrice, d’une capacité à choisir librement en fonction de ses intuitions. Les pratiques qui entourent notre relation à une substance permettent de négocier avec le réel une marge de manœuvre, pour gagner en autonomie, expérimenter ses propres désirs. 
       Les drogues sont complexes de puissances et de contraintes,
de plaisirs et d’addictions,
d’introspections et délires égotiques, de libertés et de dépendances, thérapeutiques et aliénantes.
       Toutes les drogues. 
       Et pas seulement.
       Art. Tabac. Choisissez votre enfer. Chaque pratique suggère compétences : se droguer —qu’importe la substance— n’y déroge pas. Réduire les risques. 
Savoir doser. Reconnaître les produits. Naviguer dans l’expérience elle-même. Gérer l’addiction et la dépendance. Savoir s’en passer. Arrêter. Apprendre à faire avec ce que l’on est—une matière malléable d’expériences altérables, conscientes et inconscientes, dont de nouvelles perspectives suffisent parfois à donner un recul nécessaire à faire levier sur ce à quoi on aspire. Du temps pour distinguer de nos désirs lesquels nous inspireront favorablement. Quelles substances auront l’action d’un pied-de-biche pour ménager un interstice à l’intérieur d’un système contraignant, pour déployer une puissance d’agir sur l’existence, non comme une liberté métaphysique absolue, mais une réalité concrète d’expérience de soi ?

       La cigarette, comme les autres stimulants qui correspondent aux exigences du capitalisme, octroie un micro-espace de liberté (de 8 minutes environ)—juste le temps de savourer quelque chose pour soi, quitte à ce que cela nous détruise à petit feu. La cigarette, c’est aussi une permission de disparaître, un désir de s’absenter, de se soustraire aux obligations sociales—qui m’aime me suive au fumoir—le temps d’en griller une. C’est s’octroyer une autorité sur la manière dont chacun·e décide de sa vie. Fumer tue, oui, et vous fait jouir de votre droit à s’auto-déterminer, dans un petit acte de résistance aux normes. L’asservissement à la nicotine n’est certes pas une condition idéale, mais une pratique qui permet de conquérir une autonomie micro-dosée. 

Avec Art Tabac, François déploie un (auto-)portrait kaléidoscopique : l’homme, la clope, romantisme, cynisme.
      La tradition picturale de l’exercice du portrait est ici déployée en miroirs réfléchissants, grands yeux qui nous regardent, fixement, malgré leur cécité.
Dans une mutation de l’expérience d’exposition type pmu, c’est une pause clope géante et collective, adressée à l’encontre de mondanités déçue. Fumer comme pour mieux respirer ; premier geste du peintre avant même de préparer sa toile comme l’araignée. Fumées, comme les bulles des BD où l’on accède déjà aux pensées du personnage. Présence de l’artiste même—allumez une cigarette et vous serez déjà plus près de François ; non-fumeur·euses, considérez les toiles comme tabagisme passif. 

François est le peintre le plus tactile que je connaisse. Avec des couleurs, avec ses mains, il caresse des toiles comme des corps qu’il aurait toujours aimés. Sous nos yeux, la peinture absorbée par du coton à maille serrée tendue sur le métal. Cendriers. Surfaces cadmiums. Formes découpées au pinceau, la couleur perle en nuances. Recto et verso. Ça trans-perce la toile, des deux côtés.


       Homme de culture c’est l’appellation qu’emploie La Fève, formule qui précise la manière dont nous sommes le produit et le déchet de notre environnement, toxique et nécessaire, sous l’influence du narratif de réussite et de gloire auquel nous nous sommes identifié(·e)s. François n’ayant pas échappé à ces mythes là ; moins Patrick Bateman, plutôt Pete Doherty. Ses propositions exigent de dépasser l’écran qui lie l’artiste à sa pratique et l’encombre parfois. Toujours, en fait. Cette épaisse peau qu’est l’image de soi, imprécisément renvoyée aux autres, porte un cynisme contemporain : sous-entend une extrême mélancolie, étrangement combinée à la pugnacité de son propre acharnement au travail, en dépit de doutes constants et persistants. L’artiste est Joker, condamné à l’anonymat, Arlequin maladroit ou clown quand le masque est trop lourd pour percer l’homme qui se cache derrière son épaisseur.
      Parmi les systèmes de contraintes auxquels chacun·e est confronté·e, si nos addictions resistent c’est bien qu’elles appartiennent aussi aux forces qui ouvrent des possibilités. Qu’il s’agisse de morphine comme de clopes, ou même de l’art, elles ne sont ni éloignées dans leurs pratiques, ni dans leurs expertises.
On entend sans mal tout l’intérêt d’être une femme foncecar au xixe siècle, et de la même manière, qu’il y aura toujours un peintre qui peine à être heureux dans son petit atelier, modelé par l’héritage culturel auquel nous avons toustes été exposé, et qui, assis sur une chaise, fume devant des châssis entoilés.


a§s

François Patoue, Three masks symphony, huile sur lin belge, 24 × 30 cm, 2025

François Patoue, sbagliatosbagliato, pastel gras, couverture de livre trouvée, 2025

François Patoue, Naomi,
huile sur lin belge, 50 × 60 cm, 2025

François Patoue, Just hold on we’re going home, collage sur toile de coton brut, 200 × 300 cm, 2025

François Patoue, Lighthouse, céramique en grès émaillée montée sur acier, 110 × 30 cm, 2025

Un multiple est édité et distribué à l’occasion du vernissage.



Impressions du texte d’exposition par Eléonore Bonello
Le bar a été assuré par Eléonore et Renaud
Des fleurs ont été offertes par Renaud

Work in progress
Recherches

Recherches
Work in progress
Recherches
Work in progress
Montage, ART TABAC
Communication
Préparation du multiple édité à l’occasion de l’évènement
François Patoue, Naomi,  huile sur lin belge, 50 × 60 cm, 2025
François Patoue, Naomi, huile sur lin belge, 50 × 60 cm, 2025

Recherches
Recherches
Work in progress
Work in progress
Work in progress de la carotte de tabac, avec l’aide et les conseils avisés de Naomi Gilon
Recherches
Work in progess
Recherches
Montage, ART TABAC
Soirée d’ouverture, ART TABAC
Soirée d’ouverture, ART TABAC
François Patoue, SBAGLIATOSBAGLIATO, pastel gras, couverture de livre trouvée, 2025
François Patoue, Just hold on we’re going home, collage sur toile de coton brut, 200 × 300 cm, 2025
Recherches
Recherches

“HAAR TABAC”, flacon de cosmétique offert de la place du Jeu de Balle

Work in progress de la carotte de tabac, avec l’aide et les conseils avisés de Naomi Gilon
Recherches
Recherches
Création du parfum solide (odeur tabac froid), partie du multiple édité à l’occasion de l’évènement
Création du parfum solide (odeur tabac froid), partie du multiple édité à l’occasion de l’évènement
Montage, ART TABAC
Fleurs offertes, ART TABAC
François Patoue, Three masks symphony, huile sur lin belge, 24 × 30 cm, 2025
François Patoue, Three masks symphony, huile sur lin belge, 24 × 30 cm, 2025

 
Multiple édité dans le cadre de l’exposition