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Morgane Le Ferec
BOUEUSES
14.MEI.2025




Toucher avec les yeux, tout d’abord. Volumes de couleurs, crayonnés ou cartoonesques, ouvertures sur la page qui disent son opacité—gorges absentes. Des bouches qui enlacent divers corps de leurs langues, de lèvres fortes ou incertaines, en explorations visuelles de sensations organiques, moelleuses ou abrasives. Toucher avec les yeux éveille des plaisirs par anticipations, avant dénouement, celles d’un désir jamais pleinement soulagé de réponses sensorielles. Avec le regard, c’est la rencontre d’une première tension, de l’incertitude du jeu même—dépendance déjà d’une possible libération, plus convaincante qu’aucune victoire. La tension s’accumule, romantique et organique, du désir. Cruelle. L’incertitude d’une possible (ré)solution entretient un mélange doux-amer d’espoirs et d’anxiétés : sont-ce là des bouches qui invitent ? Elles parlent sans dire un mot. Des bouches qui happent, gobent, lèchent et dégustent. Des bouches actives, des bouches passives, des bouches qui se tordent, bavent et dégoulinent, toute une grammaire visqueuse et viscérale tracée par Morgane. Sans s’inquiéter de leurs attentes présupposées, ces orifices aux lignes sinusoïdales déploient des explorations sensuelles de fluides fertiles et inquiétants, dans un large paysage du toucher.
       Accueillir avec la peau, aussi. L’effleurement, à peine perceptible, 
transite en surface sans laisser de trace, sans pression, dans le doute même qu’un contact ait eu lieu, comme touché·ex par une ombre. Effleuré, c’est une gymnastique tactile qui ne laisse aucune place à l’empreinte de l’autre—fantôme. Effleurer, un geste si léger pourtant tout en contrôle : plus de pesanteur, un poids de rien qui distribue sensiblement ses effets bien au delà de la surface en contact. Quoi toucher avec autant de légèreté?

Un cran d’intensité au dessus, la caresse, réponse de volupté : le mouvement s’y dessine plus distinctement, la pression répartie en rythmes, en longueurs, le mouvement se veut lent comme 
s’il fallait se mouvoir dans de l’eau, 
dans la boue, dans de la crème glacée. Le toucher est quant à lui plus versatile, plus solide, plein, intentionnellement partagé plus que prodigué ; il dit la touche, la diversité de contacts, la matière et la texture, l’intention dans le geste transforme le contact en relation. Enfin, la pression, la pulpe de la chair et de la peau vient appuyer, panser, pincer, marquer, pétrir, serrer, frotter, soutenir, dans un exercice où la force vient contraindre gentiment la forme. La pression se décline en larges gammes de caresses, massages, frictions, tatouages, fessées.
       De ces bouches dessinées, Morgane illustre des coutures organiques, orifices ouverts et sexuels, tout comme des fleurs feignant de n’être rien d’autre que d’inventifs appareils reproducteurs. En explorant ce vocabulaire, narratif, sensuel, érotique, ces lignes tendent à explorer le contact, avec l’organe qui touche le monde qui l’entoure avec le plus de finesse : la bouche. 

Dans cette cavité d’oralités, la langue est lovée dans la douceur de ses joues, contaminée par le virus du langage qui la fait danser. Les dents, petite frontière qui permet incorrectement de distinguer ce qui fait peau de ce qui fait chair, peut contraindre toute pénétration de corps étrangers, intrus ou invités, par activation de sa mâchoire-guillotine. La salive, dans sa complexité microbiotique (10 à 1 000 millions de germes par millilitre expliquent que, lors d’un baiser amoureux, pas moins de 80 millions de bactéries sont échangées en une dizaine de secondes par le mélange des salives), est un premier lubrifiant social destiné à l’alimentation, à la contamination, à la communication. Cette technologie de pointe qu’est la langue se réveille pour dire ce qui lui est étrange, qui me lie à ma pensée ou la laisse entendre aux autres. Elle repose dans son palais, et je perçois à peine le goût qui est le mien, pourtant sur mes lèvres aussi incomparablement unique que 
ma singulière existence.

Les lèvres tempèrent ce qui les touche le plus intensément, surface lisible d’une incroyable finesse. Et ce n’est qu’en embrassant que je peux sentir, que je peux goûter, au goût de l’étrange, du dehors, de l’autre—ce que le langage me permet d’entrevoir d’une autre manière, plus pratique peut-être.

Leurs illustrations délivrent une lecture émotionnelle d’énigmes érotico-cringe. Les secrets qu’alimentent ces bouches muettes du fait de leur fixation sur le papier, font sensualités immobiles. Le dessin annihile la fluidité du mouvement, d’ordinaire garant d’une sexyness impermanente.
      Ces bouches, appareils de langage sans leurs mots, soulignent la contrainte du temps à découvrir le message que le silence dissimule : le désir se nourrit de cette absence, dans un strip-tease intellectuel immuable, pétri d’ambiguïtés. Elles laissent disponibles les possibles crises et caprices de la communication sociale ; car même au delà du silence, il reste impossible de tracer une frontière définitive entre ce que les énoncés présupposent sémantiquement, et ce que font pragmatiquement les gens qui les énoncent—tous les problèmes sont des problèmes de communications. La condition de félicité du langage et de la communication —du consentement !— est la compréhension, la coordination du sens qui permet que nous tenions pour acquis que ce que nous voulons faire passer passera, que
le message sera correctement délivré, aussi intuitivement que nous comptons sur le soleil de se lever demain. Cet idéal de cohésions entraîne sa propre vulnérabilité : celle de pourvoir s’exprimer au monde comme personne. Comme personne comme les autres.



a§s

Morgane Le Ferec, ensemble de dessins au crayons de couleurs encadrés d’argile cuit ou d’acier, dimensions variables, 2025

Morgane tient à remercier Laurianne Bixhain, Juliette Delarue, Leo Luccioni, Benjamin Pruvost et Sophie Vendreys.


ANALOG PHOTOS Raphaëlle Serres

Impressions du texte d’exposition par Eléonore Bonello
Le bar a été assuré par Eléonore et Raphaëlle
Des fleurs ont été offertes par Eléonore et Raphaëlle

Nous avons eu la joie d’accueillir le salon de tatouages comestibles de Juliette Delarue @juliettedelstreet

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Montage, Boueuses
Montage, Boueuses
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025

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Montage, Boueuses
Montage, Boueuses

Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
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Dessins préparatoires
“Sex”, Madonna
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Juliette Delarue pour Boueuses, story de Morgane Le Ferec
Fleurs
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
Morgane Le Ferec, Boueuses, 2025
 
Tatouages comestibles le soir de l’évènement
par Juliette Delarue @juliettedelstreet