PROJET ASSS
DECEMBRE, Opening
JANVIER Naomi Gilon, Rêver d’ombre et de lumière
FEVRIER Matthieu Michaut, Feu au lac
MARS Cécile Barraud de Lagerie & Pauline Rivière, Violet ABC
AVRIL François Patoue, ART TABAC
MAI Morgane Le Ferec, Boueuses
JUIN Tommy Lecot, Bienvenue! Welkom!
JUILLET Mia Brena-Minetti, Allô!
AOÛT 1ND3X, Audimat
SEPTEMBRE Corey Bartle-Sanderson, Carriers
OCTOBRE Naoki Karathanassis, Out of Mind
NOVEMBRE Pauline van der Ghinst, Sometimes we just have to accept it as God's will
DECEMBRE Elias Sanhaji, 96-06-26


Pauline van der Ghinst
SOMETIMES
WE JUST HAVE
TO ACCEPT IT
AS GOD’S WILL
12.NOV.2025


Nos souvenirs sont-ils derrière nous ? Comment pourraient-ils ne pas l'être  puisqu’ils renvoient à un passé révolu ? Cette évidence se trouble pourtant dès que l’on considère que le souvenir n’est jamais le passé lui-même, mais une construction présente du passé. En ce sens, nos souvenirs ne sont pas derrière-nous : ils sont projetés, dans l’acte même par lequel nous les convoquons. Se souvenir, c’est produire du passé à partir du présent. Ce qui fait notre “mémoire” n’est pas la persistance d’un contenu, mais une opération de mise en forme du manque ; elle ne garde pas les choses telles qu’elles furent, mais les reconstruit. Nos souvenirs ne se situent pas dans un temps chronologique, mais dans une temporalité du remaniement, où l’on ne cesse de réécrire ce qui a eu lieu. Parler d’un passé derrière-nous supposerait qu’il existe une continuité stable entre ce qui a été et ce que nous en retenons. Or cette continuité n'est qu’une illusion nécessaire—nos expériences sont compositions de fragments, de lacunes, d’images latentes. La mémoire ne se déroule pas en une ligne, elle tisse un réseau de traces où certaines zones s’effacent et d’autres s’épaississent, où l’ordre du temps se recompose sans cesse.
Se souvenir est un acte de production, qui invente du passé pour rendre le présent habitable. Le souvenir nous traverse, parfois nous précède. Loin d’être un vestige, il agit comme un cadre de perception du monde, une structure qui oriente notre regard avant même qu’il ne se pose. Il ne fonctionne pas comme une archive, mais comme une dynamique d’illusions projetées. Il maintient la présence de ce qui n’est plus—et dont il ne reste que des contours. La nostalgie exprime d’ailleurs une conscience aiguë de cette tension : elle est le sentiment que ce que nous retenons n’a jamais vraiment eu lieu comme tel.

La mémoire dessine une structure mise en forme par du manque. Elle opère selon une logique sélective qui détermine ce qui peut être retenu, reconstruit ou effacé ; elle n’est pas un réservoir d’images, mais un dispositif de filtrage, et produit du sens à partir de ce qui a disparu. Les souvenirs ne restituent pas le réel, ils en fabriquent une cohé-rence rétroactive. Sans lacune, sans perte, la mémoire se confondrait avec le présent. Par ces creux, ce vide n’est pas le contraire du sens, mais l’espace à partir duquel le sens se configure.

Toute expérience visible repose sur une économie du sensible : ce qui se montre ne se donne jamais entièrement, mais par contraste avec une zone d’opacités qui le rend possible. La forme n’existe qu’à partir de son retrait partiel, de la limite qui la sépare de son fond. La perception, comme la mémoire, n’est pas une restitution intégrale du réel, mais une organisation des seuils de visibilité. Cette structure produit une tension constitutive entre certitude et incertitude. Le regard, le souvenir, le jugement fonctionnent à partir d’un régime d’indéterminations contrôlées : nous ne savons jamais tout, et c’est cette incomplétude qui rend la connaissance active. Le réel n’est pas donné, il se négocie dans le rapport entre ce qui se montre et ce qui se retient.

Ce rapport aux illusions suppose donc une distance interne : une part d’opacité qui garantit la stabilité du sujet. Cette opacité n’est pas une résistance extérieure, mais une dimension constitutive de l’expérience. Elle délimite l’espace de l’intériorité, où la mémoire se replie, se fragmente et se reformule. Le sujet se construit dans cette zone de retrait, où ce qui est su et ce qui reste latent coexistent sans se résoudre. La répétition participe de ce même principe—répéter, ce n’est pas reproduire, car ce qui revient n’est jamais identique : chaque répétition inscrit la distance qui sépare le présent de ce qu’il tente de ressaisir.

Sous cet aspect, l’oubli partage la même fonction que le secret : celle de limiter la transparence, de protéger une part d’opacité nécessaire. Tout comme le secret règle l’accès à l’information dans la relation sociale, l’oubli règle l’accès à la mémoire dans la relation à soi. Tous deux instaurent une forme de distance régulatrice, une cloison qui préserve la possibilité du lien sans dissolution.

Ce sont des manières de garder les choses à bonne distance. Qui ne nient pas le passé, mais l’encadrent. En décidant, consciemment ou non, de ce qui doit rester caché, refoulé, suspendu, et assurent une cohérence pour le sujet
.

C'est la condition d’une intériorité stable : une mémoire totale serait une exposition permanente, une impossibilité de se tenir à soi-même. Le secret fonde un droit à l’invisible, un espace intérieur qui échappe à la contrainte de tout dire, de tout savoir, de tout se rappeler.

La mémoire, l'absence et la répétition alimentent ainsi un même système : un régime d’équilibre entre absence et forme, entre disparition et persistance. D'une expérience n'y réside pas dans la présence pleine des choses, mais une tension entre ce qui se montre et ce qui reste inconnu. Penser une structure comme un secret, c’est penser une épistémologie du manque : une connaissance fondée non sur la totalité, mais sur la limite. Ce n’est pas dans la clarté que le réel devient intelligible, mais dans les zones d’incertitudes qui l’organisent.

Si nos souvenirs ne sont pas derrière-nous, peut-être ne sont-ils pas non plus entièrement à nous. Ils se logent dans une mémoire collective, dans des images, des formes, des objets, des récits qui circulent autour de nous. Ce que nous croyons intime est façonné par des représentations partagées, par des cadres sociaux et symboliques. Nos souvenirs individuels ne sont que des variations locales d’un ensemble commun de traces. La mémoire ne serait donc pas un regard en arrière, mais une forme d’organisation du présent—une manière de donner cohérence à ce qui, sans elle, se disperserait. Nos souvenirs sont des structures invisibles qui soutiennent notre regard vers l’avant, comme autant de formes que nous remplissons de sens.
Et qui, autrement, nous y noieraient
.


a§s

Pauline van der Ghinst, Memories or dust?, multiplex, 122  cm × 250  cm, 244  cm × 250  cm, 366  cm × 250  cm


ANALOG PHOTOS Eléonore & Raphaëlle
BAR Eléonore, Renaud & Raphaëlle
Musique Renaud
Aide au montage Eliot Joris

Vue d’exposition, Matthieu Michaut, That’s not a corn dog et Sans titre, 2025



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